Discours d'acceptation d'Espérance Mukashema à l'occasion de la remise du Prix Victoire Ingabire pour la démocratie et la paix par le RifDP le 19 juin 2021
Excellences, Mesdames, Messieurs,
Permettez- moi tout d’abord d’adresser mes vives salutations et mes hommages au Réseau International des Femmes pour la Démocratie et la Paix.
Mes salutations sont également adressées à chacun d’entre vous, à vos familles et à vos organisations. Quelle ne fut ma surprise lorsqu’on m’appela pour m’annoncer que le Comité m’a sélectionnée pour faire partie des lauréats du Prix Victoire Ingabire ! Ma première réaction fut de me désister parce qu’en toute modestie, je ne comprends toujours pas pourquoi j’ai été choisie. Mais, après réflexion et concertation avec mes proches, j’ai fini par comprendre que l’acceptation de ce prix serait une bonne chose, même si c’est trop d’honneur pour moi.
Ce serait une bonne chose parce que c’est sans doute une occasion de plus pour faire le plaidoyer en faveur de la lutte pour la paix, la justice, la réconciliation nationale et la démocratie.
Mesdames, Messieurs,
En acceptant ce prix, je voudrais le dédier aux femmes et aux hommes qui se sont investis, s’investissent, se sont battus et se battent jour et nuit pour aider les millions de rwandais à lutter pour sortir des conditions de vie misérables dans lesquelles ils ont été enfermés.
Je voudrais particulièrement dédier ce prix à toutes les organisations et associations rwandaises qui se mobilisent pour le bien- être de leurs compatriotes et font tout ce qui est possible pour que la société rwandaise retrouve son ubumuntu.
Je dédie ce prix aux amis et connaissances et plus spécialement à ma famille qui, malgré ma faible disponibilité à leur endroit, ne cessent de m’encourager dans la lutte quotidienne pour la paix, la vérité, la justice et la réconciliation des rwandais. Je dois vous avouer que les encouragements qui ont été déterminants sont ceux de mon défunt mari Sisi Evariste qui, même sur son lit d’hôpital n’a cessé de m’encourager. Permettez- moi de lui rendre un hommage appuyé et de lui demander d’intercéder auprès du Très Haut pour le Rwanda et les Rwandais.
Je dédie ce prix tout spécialement à mon flis, Sheja, qui a été et reste le moteur de ma lutte pour un Rwanda réconcilié, un Rwanda où la justice règne et s’écrit avec un grand J, un Rwanda sans discrimination où Hutu, Tutsi et Twa vivent comme des frères et sœurs.
Le souvenir de mon fils ainé Sheja, assassiné par le FPR le 5 juin 1994 à Gakurazo en même temps que les évêques et autres religieux, est comme je l’ai dit plus haut, la raison de ma lutte pour la vérité sur le prétexte de la guerre d’octobre et du génocide rwandais. Car, au fur et à mesure que les jours avancent, nous découvrons des choses plus incroyables et plus invraisemblables les unes après les autres. Sheja m’aide à analyser et à comprendre ces choses ainsi que les enjeux qui se cachent derrière. Il m’aide à encadrer d’amour ses petits frères et sœurs.
Passée le temps des larmes pour sa mort, Sheja est devenu ma source d’inspiration pour une société juste. C’est d’autant normal que le peu de temps qu’il a vécu sur cette terre, il a connu un Rwanda où Hutu et Tutsi vivaient et partageaient tout.
Mesdames, Messieurs,
Depuis Octobre 1990, – ce qui fait bientôt 31 ans-, le sang des rwandais n’a cessé de couler. Certes, le paroxysme a été atteint avec le génocide qui a emporté des millions de rwandais en 1994, mais depuis lors, des milliers de vies humaines ne cessent d’être emportées au Rwanda et dans la sous-région des Grands Lacs, au Congo en particulier. Tout se passe comme si la communauté internationale a décidé que la vie des femmes et des hommes de cette région ne valait pas la peine d’être préservée et que le régime de Kigali pouvait ôter la vie sans être inquiété.
J’en profite pour rendre hommage aux autres figures de notre lutte qui, comme Ingabire, font avancer la lutte du peuple rwandais. Parmi ces nombreux compatriotes, je voudrais mettre en exergue le saint homme Kizito Mihigo et d’autres, dont ceux qui, récemment ont disparu ou ont été emprisonnés. Je pense à Indamange, Bahati, Karasira, Ntamuhanga, Sankara et Rusesabagina. La liste est hélas longue car les victimes de la liberté, la justice et la paix dans notre pays, sont trop nombreux.
Je voudrais aussi rendre un hommage mérité et remercier des voix de non rwandais qui renforcent notre lutte. Parmi eux, je voudrais épingler notamment Judy Rever, Charles Onana et Michaela Wrong.
Mesdames et Messieurs,
Il y a beaucoup de choses à dire, mais je m’en voudrais de ne pas demander aux démocrates rwandais, regroupés ou non dans des partis et mouvements politiques ou associations diverses, de prendre la mesure de l’impasse dans laquelle la société rwandaise est plongée, et de placer les intérêts du peuple rwandais au cœur de leur combat et au-dessus de leurs intérêts personnels ou particuliers. C’est, j’en suis convaincue, la seule voie, – je veux dire la voie obligée-, de rendre et donner espoir au peuple rwandais. Nous le devons à nos enfants et aux générations futures qui ne doivent pas hériter d’un pays déchiré par la haine, la discrimination et l’exclusion.
Merci chères sœurs du Réseau International des Femmes pour la Paix et la Démocratie.
Bénédiction sur vous !