Situation à l’Est de la RDC

Situation à l’Est de la RDC

COMMUNIQUÉ

Depuis la prise de Goma par des forces rwandaises et le mouvement M23 ce 27 janvier, et de Bukavu ce 16 février, le monde entier semble découvrir avec étonnement la gravité de la guerre d’agression dont la RDC est victime depuis presque 30 ans. Pourtant ce n’est pas la première fois que Goma et Bukavu tombent aux mains de rebelles soutenus par le Rwanda ! Après 30 ans de silence sur cette guerre méconnue, les médias mainstream s’intéressent enfin à une situation qui a laissé la communauté internationale largement indifférente voire complice malgré les nombreux rapports de l’ONU, malgré les appels pathétiques du Prix Nobel de la Paix le Dr Denis Mukwege, etc.

Aujourd’hui, des voix s’élèvent enfin de tous côtés pour condamner l’agresseur, des condamnations verbales se multiplient. Enfin des appels et des résolutions apparaissent dans les hémicycles politiques tant en Belgique qu’au Parlement Européen. Enfin on veut bien admettre que les violences dont sont toujours victimes des millions de Congolais depuis 30 ans ont pour motif l’exploitation illicite des minerais pour permettre leur transit vers le Rwanda au profit des entreprises multinationales de la transition écologique et autres.

Nous sommes une association créée en 2010 par des femmes issues de la diaspora rwandaise en Europe et au Canada, déterminées à promouvoir la paix et la démocratie dans la Région des Grands Lacs, sans toutefois adhérer à un parti politique quel qu’il soit.

A ce titre nous avons toujours dénoncé les drames humanitaires et la violence qui sévit dans l’est de la RDC depuis octobre 1996 et leur mobile réel : le pillage des minerais par groupes rebelles interposés, voire à terme la balkanisation de la RDC, au profit du régime politicomilitaire dictatorial et expansionniste qui a pris le pouvoir au Rwanda en juillet 1994.

C’est pourquoi nous applaudissons les avancées diplomatiques de ces derniers jours. Il ne s’agit plus seulement de condamnations verbales mais bien d’envisager des sanctions à l’égard du régime rwandais. Nous notons entre autres :

  1. Au gouvernement fédéral belge : le plaidoyer du ministre belge des Affaires Etrangères sortant, Bernard Quintin, repris par son successeur, Maxime Prévot, pour que des sanctions soient prises par l’Union européenne, à savoir :
    o La suspension du dialogue politique et sécuritaire de l’UE avec le Rwanda o La suspension du « Protocole d’accord sur les chaînes de valeur durables pour les matières premières critiques » conclu entre l’UE et le Rwanda en février 2024
    o La suspension du financement de l’armée rwandaise par la « Facilité européenne pour la paix (FEP)» pour son action au Mozambique soit 40 millions d’euros octroyés au Rwanda en 2022-2024 (peut-être détournés vers la RDC) et du « Programme européen pour les infrastructures dans les pays tiers (Global Gateway) », qui annonçait en 2023 des investissements européens à concurrence de 900 millions d’euros pour le Rwanda. Par ailleurs, nous apprenons que l’accord gouvernemental belge, conclu le 31 janvier 2025, est explicite sur la responsabilité du Rwanda dans les exactions et le pillage en RDC et demande au Rwanda de se retirer de la RDC. Dans ce sens le ministre des Affaires Etrangères, également ministre des Affaires européennes et de la Coopération au développement, a déjà demandé d’examiner les sanctions possibles au sein de l’administration de la coopération bilatérale.
  2. Dans divers hémicycles parlementaires des voix s’élèvent pour sanctionner le Rwanda et suspendre toute aide destinée à son armée. C’est le cas notamment au Parlement de la Région Bruxelles-Capitale, au Parlement fédéral belge et – last but not least – au Parlement européen qui, ce 13 février 2025, à une majorité de 443 voix (contre 4 et 48 abstentions), appelle la Commission et le Conseil à suspendre immédiatement le Protocole d’accord sur les matières premières critiques « jusqu’à ce que le Rwanda prouve qu’il a mis fin à son ingérence et qu’il a cessé d’exporter de minerais extraits des zones contrôlées par le M23 ». Le Parlement européen demande également de geler l’aide budgétaire directe au Rwanda et de cesser l’assistance militaire et sécuritaire aux forces armées rwandaises.
  3. Au Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU à Genève, ce 7 février 2025 : une résolution reconnaissant explicitement la responsabilité du Rwanda dans les exactions commises à l’est de la RDC a été adoptée, comprenant la mise en place d’une enquête internationale chargée de documenter les crimes présumés. Ce qui ouvre la voie vers une action judiciaire devant la CPI.

Ces avancées sont positives mais le chemin de la paix reste très long. Le Parlement européen a beau supplier, c’est la Commission qui fixe les politiques et qui distribue la manne financière. Le porte-parole de l’Union européenne pour les Affaires Etrangères a annoncé, parlant de la RDC : « Au vu des violences de ces derniers jours dans l’est du pays, nous devons réévaluer notre partenariat de sécurité avec le Rwanda et envisager de nouvelles mesures, c’est clair ». Mais au fait, comment croire que la Commission ignorait ces violences ? Et combien de pays européens sont-ils prêts à considérer que la paix, l’humanité et les droits de l’homme ont priorité sur les intérêts financiers et stratégiques du monde occidental ?

La prospérité du Rwanda – voire sa survie – provient essentiellement de deux sources : l’aide étrangère (au moins 40 % des recettes du pays) et les revenus du pillage en RDC. Quand les membres de l’Union européenne s’accorderont-ils unanimement pour sanctionner un pays qui se présente comme incontournable dans la géopolitique africaine et internationale ?
Quand certains Etats membres, dont principalement la France, cesseront-ils leur double langage : condamner verbalement mais soutenir concrètement ? N’est-ce pas la France qui a insisté sur le financement par l’Europe de l’armée rwandaise et sur la signature de l’accord sur les minerais ?

Dans cette configuration, l’attitude de la Belgique aujourd’hui, par son plaidoyer au niveau européen et par sa volonté de reconsidérer son aide bilatérale au Rwanda, est exemplaire.

Le RIFDP s’en réjouit et se joint aux nombreux mouvements de la société civile dans l’espoir que la détermination belge entraînera d’autres pays à adopter une position ferme accompagnée de sanctions à l’égard du Rwanda.

Fait à Bruxelles le 17 février 2025.

Marie-Louise GAKWAYA / Coordinatrice RifDP Belgique
Primitiva MUKARWEGO / Coordinatrice-adjointe RifDP Belgique