Déo Namujimbo – Discours de Reception du Prix Victoire Ingabire Umuhoza

Déo Namujimbo – Discours de Reception du Prix Victoire Ingabire Umuhoza

Bonjour à toutes et tous,

Je ne saurais commencer ce petit exposé sans remercier du fond du cœur les braves dames qui composent le bien nommé Réseau international des femmes pour la Démocratie et la Paix. Tout en me demandant pourquoi elles m’ont choisi alors que je suis convaincu qu’il existe d’autres personnes qui méritent plus que moi ce Prix mais qui n’ont pas les moyens de s’exprimer. Je pense ici aux centaines de milliers de personnes injustement et cyniquement emprisonnées au Rwanda, aux millions d’autres déplacés à l’Est de la République pseudo-démocratique du Congo ou encore à ceux dont les corps emplissent les fosses communes disséminées à travers la RDC et le Pays des Mille Collines et des cent mille horreurs.

Ceci étant dit, j’ai reçu au cours de ma vie un certain nombre de prix nationaux et internationaux récompensant la maîtrise de la langue française ou encore la défense et la promotion de la liberté de la presse et de l’expression. Mais aucune de ces distinctions ne m’a autant comblé de joie et d’honneur que le Prix Victoire Ingabire Umuhoza pour la Démocratie et la Paix car il porte le nom de cette dame humble et honorable que j’ai personnellement surnommée la Rosa Parks de l’Afrique des Grands Lacs. Je m’identifie à elle en ce sens que son combat épouse parfaitement le mien, que j’articule autour de ma devise : « Je me bats sans bombes ni fusils. Mes seules armes sont la loi et la justice, la plume et le papier ».

Comme le programme de cette soirée est plutôt chargé et que je n’ai pas beaucoup de temps, je me présente devant vous à cette occasion pour vous adresser un message d’espoir. Certains diront que je suis fou, j’ai l’habitude ! Comment peut-on encore avoir de l’espoir après ce que nos peuples vivent depuis plus de trente ans au Rwanda, en RDC et partout dans le monde ? Vous vous rappellerez que le régime en place à Kigali a envoyé à l’Est de la RDC des bataillons entiers de militaires de l’APR souffrant du sida avec pour mission de violer et contaminer le plus possible de femmes et de filles. Vous n’êtes certainement pas sans avoir entendu parler des centaines d’évêques, de prêtres et de religieuses assassinés depuis 1990 au Rwanda puis à partir de 1996 à l’Est du Congo, avec l’unique objectif de mettre au pas les populations désormais sans guide et sans repère. Pire encore, comme je le démontre dans mon prochain livre disponible en libraire d’ici quelques mois, bien des serviteurs de Dieu ont été livrés aux bourreaux par leurs propres collègues et ‘pères spirituels’ à l’instar de Mgr Faustin Ngabu, évêque tutsi de Goma et Mgr Jérôme Gapangwa, évêque munyamulenge d’Uvira. Beaucoup d’entre nous n’ont pas donné d’importance à la campagne de vaccination anti-polio qui a été organisée en avril-mai 1996, destinée aux enfants hutu rwandais dans les camps de réfugiés mais aussi aux enfants zaïrois dans les villes, les villages et les montagnes du Kivu. Cette campagne de vaccination a été suspendue et reportée, un infirmier ayant cassé un flacon le tout premier jour de la campagne et ayant constaté que le produit en question ne ressemblait pas à celui qu’il avait souvent utilisé les années précédentes. Ce dont le laboratoire s’est rendu compte, d’où on s’est rappelé que les milliers de flacons de vaccins avaient séjourné quelques jours dans les entrepôts et les chambres froides de Kigali, de Kibuye et de Butare, question de respecter la chaîne du froid. Le temps d’y injecter on ne sait quelle saloperie. A ce jour, à ma connaissance, l’Organisation Mondiale de la Santé n’a jamais expliqué clairement pour quelles raisons exactes cette campagne de vaccination avait été reportée. Peut-être pour que l’OMS ne soit pas critiquée pour manque de prévoyance et de mauvaise organisation. Devrais-je aussi rappeler le viol utilisé comme arme de guerre, les femmes et toutes jeunes filles obligées de s’accoupler avec leurs propres enfants et même leurs beaux-pères aux yeux de toute la communauté, les chefs de village publiquement sodomisés devant leurs administrés et d’autres venus d’autres villages de préférence le jour du marché à la sortie de l’église ?

Les exemples sont nombreux, mais le temps qui m’a été imparti est bientôt dépassé. Mais où est donc le message d’espoir, allez-vous me demander. Le voici, en résumé : la communauté internationale nous a abandonnés. La Mission des Nations-Unies avec ses dizaines de milliers de soldats surarmés assiste et se contente d’observer les carnages récurrents à l’est de la RDC. Les ‘soldats de la paix’ sont en vacances payées depuis plus d’un quart de siècle, les Pakistanais en profitent pour islamiser à outrance et les Chinois exploitent à cœur joie le gaz méthane dans les eaux du lac Kivu…

Il y a quelques mois M. Antonio Guterres, Secrétaire général de l’ONU, a déclaré sans avoir froid aux yeux que l’ONU n’avait pas les moyens de combattre les M23. L’Union européenne condamne l’appui du Rwanda aux mouvements rebelles tout en signant avec Kigali des accords pour l’exploitation des minerais de l’Est du Congo alors qu’elle sait pertinemment dans quelles conditions infrahumaines ces ressources sont obtenues. Dans quelques jours sera célébré avec pompe l’anniversaire du génocide. Je vous parie ce que vous voulez que lors de ces cérémonies personne ne parlera des Hutu rwandais et des Congolais qui sont pourtant les principales victimes de cette tragédie qui ne fait que perdurer et s’amplifier depuis des décennies.

Voici donc mon message d’espoir, une histoire dont l’on ne parle pas beaucoup et dont je me suis beaucoup servi pour ‘convertir’ pas mal de gens lorsque j’étais évangéliste lors de mes premières années à l’université de Lubumbashi : un jour Joseph Staline, alors président de l’URSS, discutait avec son ami d’enfance devenu évêque orthodoxe. Ils vinrent comme souvent à discuter de l’existence ou non de Dieu. Tout naturellement l’évêque rappela au président du Soviet suprême les millions de moutons qui pullulent dans la nature russe. Les moutons n’ont pas de dents pour se défendre, ne sont pas assez rapides pour échapper aux prédateurs, et ne mettent au monde qu’un agneau ou deux par an. En face des moutons il y a les loups qui font chacun des dizaines de petits tous les quatre mois (j’ai vérifié : une louve ou une chienne peut faire jusqu’à plus de 1400 enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants en douze mois), sont naturellement dotés de crocs acérés comme des épées, courent à des dizaines de kilomètres par minute et n’ont pour ambition sur terre que de dévorer des moutons. Sans parler des léopards, des ours et d’autres bêtes féroces… et des hommes ! L’évêque conclut sa plaidoirie en demandant à son ami Staline : « Maintenant tu peux m’expliquer comment il se fait qu’il existe encore des moutons ? ». A mon tour je vous pose la question : « Qui peut m’expliquer comment il se fait qu’il existe encore des Hutu et des Congolais sur cette terre des hommes après les exemples que je viens de vous citer et d’autres que vous connaissez pour les avoir vécus personnellement ? ». Selon le pasteur qui m’a raconté cette histoire, non seulement Staline aurait cru en l’existence d’un dieu ou une ‘puissance’ quelconque mais qu’il aurait pris l’habitude, avant de prendre quelque décision importante, de demander secrètement à son ami évêque ce que ‘son Dieu’ pense de la situation. Un dicton en kinyarwanda dit que chaque soir Dieu descend sur terre pour aller passer la nuit dans les collines du Rwanda. Et les gens du Kivu ajoutent que chaque matin Dieu va se laver dans les eaux du lac Kivu. En résumé celui-là, appelez-le Dieu, ou Imana, Mungu, Nzambe, Nzakomba, Viji mukulu, Allah ou Jéhovah comme vous voulez, celui-là qui protège les moutons, les enfants à vacciner et les femmes condamnées à mourir par le sida, est très vieux maintenant, il est fatigué. Moi je vous dis qu’un de ces jours il va se décider à aller se reposer au pied de SES collines. Puis du haut des cieux il va constater les changements opérés dans la région ces trente dernières années. Alors on va lui expliquer ce que sont devenus ses Bahutu, on va lui raconter l’histoire de ces milliers de fosses communes sur les rives de SON lac Kivu et de ces autres millions de familles déplacées etc. Je m’appelle Déo Gratias, ce qui veut dire l’ami de Dieu, mais il ne me tient jamais au courant de ses projets. Mais j’ai confiance que très bientôt sa vengeance sera plus terrible que le déluge de Noé, les incendies de Sodome et Gomorrhe, les dix plaies d’Egypte et tout ce que nous lisons dans la Bible et la Torah.

Je terminerai mon exposé par une supplique que je vous adresse à genoux : ôtez de vos cœurs toute rancune et tout esprit de vengeance. N’apprenez pas à vos enfants à haïr les Tutsi car, je vous le dis parce que je connais beaucoup de gens qui vivent au Rwanda, la majorité des Tutsi sont encore plus malheureux que vous et moi. De toutes les façons Monsieur Kagame ne va certainement pas demander son avis au pauvre pêcheur tutsi des bords du lac Kivu ou à la maman qui traverse la frontière de Goma-Gisenyi chaque matin pour aller vendre ses légumes à ses sœurs hutu et congolaises de l’autre côté d’une frontière qui n’existe d’ailleurs que de nom. D’après mes sources sur place depuis quelques mois maintenant les mamans du Rwanda, hutu et tutsi mélangées, cherchent un moyen de manifester afin de demander au président Kagame de leur expliquer pour quelles raisons il envoie leurs enfants se faire tuer au Congo, pour le coltan dont elles – ces vieilles – ne savent pas à quoi ressemble ce minerai. Et il faut savoir aussi que ce monsieur va jusqu’à massacrer des villages principalement habités de Tutsi afin de mettre ces crimes sur le dos de l’armée congolaise et justifier la présence de son armée en RDC…

Ma supplique donc, la voici : ne donnons pas à nos enfants l’occasion de nous blâmer un jour comme cette petite fille tutsi, âgée de huit ans au moment du génocide qui, observant par la fenêtre de la maison familiale son père exterminer tous les voisins hutu à la machette, au gourdin et au couteau, est allée dire à sa maman en pleurant : « Maman, je te le jure, plus jamais je ne serai Tutsi ».

Je vous remercie de votre écoute et de votre patience.

Déo Namujimbo
Bruxelles (Belgique), 16 mars 2024